Mieux comprendre mes soignants
Vis ma vie de radiothérapeute
Découvrez le quotidien de Thomas, radiothérapeute, et son implication dans la prise en charge de ses patients.
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Vis ma vie de soignant est un podcast qui donne la parole aux soignants accompagnant des patients atteints de cancer. Dans cette première saison, Pierre, enseignant et ancien aidant, recueille les témoignages de professionnels tels que radiothérapeutes et infirmiers pour mettre en lumière leur rôle essentiel. Après avoir accompagné son épouse dans la maladie, il souhaite valoriser ces métiers à travers des récits humains et techniques. Le premier épisode explore l’évolution de la radiothérapie avec le Dr Forestier, soulignant les avancées technologiques et l’impact sur les patients. Ce podcast fait partie du programme Supporters, soutenu par Amgen et l’association La compagnie pourquoi se lever le matin.

Vis ma vie de soignant c’est la série de podcasts qui donne la parole aux soignantes et aux soignants ! Dans cette première saison, vous allez partir à la rencontre de radiothérapeutes, préparatrices en pharmacie hospitalière, infirmières coordinatrices, kinésithérapeutes, pour découvrir et écouter leur quotidien avec des patients atteints de cancer. Ce podcast fait partie du programme d’accompagnement en série Supporters. Supporters a pour vocation de faire évoluer la prise en charge du cancer et de soutenir patients et soignants autrement. Ce podcast a été réalisé par Amgen et l’association La compagnie pourquoi se lever le matin.

Pierre (aidant et journaliste) : Bonjour chers auditeurs, je me présente : je m’appelle Pierre, et je suis enseignant de profession. Ma femme Maryse a été diagnostiquée d’un cancer il y a 3 ans maintenant. Je l’ai vu se battre, d’un combat que vous et moi ne connaissons pas forcément, je l’ai vue partir en guerre contre un ennemi invisible, chaque matin, avec une force que je ne lui soupçonnais pas. Nous avons traversé toutes les étapes de la maladie jusqu’à la rémission. Puis la rechute, les soins palliatifs… les derniers instants…nous sommes passés par toutes sortes d’émotions, le choc, la colère, l’incompréhension, le brouillard, ensuite l’espoir. Au milieu de tout ça, une de nos meilleures armes pour surmonter les épreuves a souvent été l’humour et l’autodérision. Tout au long de la maladie, on a été accompagnés par une équipe qui nous a toujours accueillis comme si nous étions attendus, avec une bienveillance exceptionnelle. Pendant la période de rémission, on a voulu, ensemble, transformer cette expérience de vie. Comme je suis passionné par la rencontre de l’humain et que j’ai, par ailleurs, une casquette d’écrivain, nous avons décidé d’écrire un livre à quatre mains. Nous voulions mettre en valeur ces soignants qui exercent avec passion des métiers que vous et moi ne connaissons pas. Ils font partie du quotidien des patients, et font tout leur possible pour leur bien-être. Nous voulions devenir acteurs du collectif de soins, chacun à notre façon, et témoigner de ce que chaque soignant met de lui-même dans son travail. Quelques mois après le décès de mon épouse, j’ai voulu aller au bout de ce projet. J’ai donc pris mon dictaphone, et j’ai retrouvé le chemin de l’hôpital, celui que j’avais délaissé depuis bientôt 18 mois. Là, j’ai recueilli les témoignages de plusieurs soignants. Certains avaient accompagné ma femme, et j’en avais croisé d’autres à plusieurs reprises au sein du centre d’oncologie. Voici le premier témoignage, le Docteur Forestier, radiothérapeute, un homme de 40 ans, vif, communiquant, très à l’écoute de mes différentes demandes. Cher Docteur, vous n’avez pas été le radiothérapeute référent de mon épouse durant ses traitements, mais vous l’aviez rencontrée pour des consultations. J’avais alors été frappé par la qualité de votre écoute. Je vous remercie de prendre le temps, pour mon projet, de m’éclairer sur le métier que vous exercez, tout à la fois complexe techniquement et riche d’humanité. En introduction, j’aurais aimé en savoir plus sur les fondations de la radiothérapie….

Thomas (médecin radiothérapeute) : Dans les films de science-fiction des années 1980 comme Blade runner, on voit des patients sur leur table d’opération, entourés par des robots qui s’agitent pour les soigner. Fiction d’auteurs imaginatifs ? Il semblerait plutôt que, d’un point de vue technique, la réalité d’aujourd’hui ne soit pas très éloignée de cette vision. Jusqu’au début des années 2000 en France, on utilisait des machines au cobalt – les fameuses « bombes au cobalt » – qui, à l’aide d’un simple piston, propulsaient une source radioactive au-dessus du patient pour exposer sa tumeur aux rayonnements ionisants. À chaque séance, entre chaque faisceau de traitement, les manipulateurs entraient en salle pour mettre en place le bon cache, dans le bon sens, afin d’éviter d’exposer les tissus et organes à protéger. Ils montaient la table à la manivelle pour positionner le patient avant d’aller se mettre à l’abri, et déclencher le mécanisme de propulsion de la source. De son côté, le médecin radiothérapeute calculait à l’aide d’un abaque le temps d’exposition, selon la dose de rayonnements à délivrer, et selon l’âge du cobalt dont l’activité décroit progressivement. Aujourd’hui, on utilise des accélérateurs de particules pilotés par de l’intelligence artificielle. Ils ne contiennent plus rien de radioactif et produisent différentes radiations à partir de l’accélération d’un flux d’électrons. Désormais, ces machines s’adaptent aux changements de position et de morphologie des patients. Grâce à des systèmes d’imagerie embarqués elles deviennent capables de « tracker » les tumeurs en temps réel à l’intérieur des patients. Elles adaptent alors la balistique des faisceaux à leurs mouvements. La radiothérapie est probablement une des activités médicales qui, au cours des 10 à 20 dernières années, a connu des bouleversements qui ont le plus induit de changements dans le parcours des patients et dans la manière d’organiser la chaine de préparation des traitements. Une spécialisation accrue a, par ailleurs, entraîné la nécessité d’un partage et d’une délégation des tâches et s’est accompagnée de l’émergence de nouveaux métiers comme les physiciens médicaux, les dosimétristes… qui prennent une place désormais majeure dans le fonctionnement d’un service de radiothérapie.

Pierre (aidant et journaliste) : J’ai été impressionné par ce que m’a dit le Docteur Forestier sur l’évolution spectaculaire de la radiothérapie ces trente dernières années. On ne peut imaginer une telle complexité dans ces machines. Mon épouse m’a souvent raconté ses séances de radiothérapie. Sous son masque thermoformé clipsé à la table en carbone, elle se sentait à la merci de cette machine couleur gris-perle. Je me la représentais immobilisée, le masque constellé de marquages, retenant au maximum son souffle, sous le gros œil de la machine qui l’enveloppait de ses rayons. Elle essayait de penser à des moments doux et heureux pour que les minutes passent plus vite. Au-dessus, l’image d’un ciel radieux illuminant le plafond attirait son regard tandis que le manipulateur, retiré dans sa cabine blindée, échangeait avec elle quelques plaisanteries. C’était tout à la fois impressionnant et rassurant. Peut-être me visualisait-elle aussi, patientant dans la salle d’attente toute proche, et esquissait un léger sourire au milieu des faisceaux dignes d’un film de science-fiction… Nous reprenons… Docteur, pourriez-vous me parler de votre rôle, du métier, de vos responsabilités ?

Thomas (médecin radiothérapeute) : Le radiothérapeute est avant tout un médecin oncologue. Notre formation et nos diplômes nous autorisent à délivrer tous les types de traitements anti-cancéreux : radiations ionisantes évidemment, mais également chimiothérapies et thérapeutiques ciblées. Aujourd’hui, de plus en plus de radiothérapeutes se désinvestissent de la prescription des traitements systémiques. Car la technicisation de notre activité devient de plus en plus complexe, et nous avons moins de temps pour préparer les traitements médicamenteux de nos patients. C’est pourquoi, les prises en charge des traitements combinés (radiothérapie + traitements de chimiothérapie ou hormonothérapie) sont gérées conjointement par les oncologues médicaux et les radiothérapeutes. L’organisation de l’activité et de l’emploi du temps d’un médecin oncologue radiothérapeute comprend cinq temps essentiels : la consultation initiale, la préparation des traitements (scanner de centrage, contourage des volumes cibles et des organes à risques, dosimétrie), les consultations des patients en cours de traitement, le suivi des patients qui ont terminé leur traitement, et enfin des activités transversales et d’échanges avec la participation aux réunions de concertation pluri-disciplinaire (RCP)ainsi qu’aux différents staffs médicotechniques. Le cœur de métier du radiothérapeute est médico-technique. À la différence de toutes les autres activités médicales, qui prescrivent des traitements avec des préparations faites par des pharmaciens et une administration assurée par des infirmières, le radiothérapeute lui, prescrit des unités calculées en grays (joules par kilo). Il est ensuite impliqué dans la préparation dans la mise en œuvre et dans la validation des traitements dont il est responsable. Ainsi, une fois que j’ai décidé de traiter un patient, tout reste à faire. Et c’est à moi, radiothérapeute, de le faire même si je suis aidé par des manipulateurs, des dosimétristes et des physiciens médicaux. Je dois définir la position du patient, la nécessité éventuelle de contention et en préciser le type, les volumes cibles à traiter, les organes à risque à protéger, les doses à délivrer, la balistique des faisceaux d’irradiation, … etc. Cela veut dire que j’interviens depuis l’indication jusqu’à l’exécution puisque même les mises en place sous l’appareil de traitement doivent être validées médicalement, ainsi que les images de contrôle du positionnement quotidien. Pour certains types de traitement à fortes doses ou avec un suivi très précis des tumeurs mobiles, je reste au poste de traitement avec les manipulateurs tout au long de la séance pour en garantir personnellement la bonne exécution. Mon métier c’est à la fois avoir d’excellentes compétences médicales et d’excellentes compétences techniques. Cette particularité est une richesse : elle m’incite à inventer des modes de fonctionnement hautement collaboratifs puisque les tâches techniques exercées par les manipulateurs, dosimétristes et physiciens médicaux, sont les aspects d’un seul et même acte médical, l’irradiation. En radiothérapie, je manie un traitement à « index thérapeutique étroit », c’est-à-dire que la marge entre l’efficacité et la toxicité est très ténue. C’est ce qui explique que la prescription de radiothérapie est un acte médical. La responsabilité est alors d’autant plus énorme qu’elle met en jeu plusieurs acteurs et plusieurs opérations complexes. Au bout du compte c’est à moi, oncologue radiothérapeute, de fixer le compromis à réaliser entre efficacité et toxicité, pour un patient donné, en tenant compte de sa situation oncologique et de ses pathologies associées. C’est à moi, d’en assumer les conséquences immédiates comme retardées. Pour certains patients en situation palliative, par exemple, il faudra faire preuve de retenue avec pour seul objectif la délivrance d’un traitement simple, rapidement efficace, mais surtout le moins agressif et/ou contraignant possible. Pour d’autres, en situation curatrice mais avec parfois des tumeurs avancées et/ou mal placées, il faudra être capable de prendre un certain niveau de risque d’effets secondaires pour obtenir des bénéfices significatifs. C’est une question de curseur. Jusqu’à quelle limite de risque j’accepte d’aller, et pour quelle perspective de bénéfice (guérison, rémission prolongée, contrôle uniquement de symptôme) ? Je dispose d’outils extraordinaires, robustes, testés et contrôlés, mais il n’y a pas de fiabilité absolue dans la technique. Il faut être capable de la critiquer, d’en connaitre les incertitudes et les limites, de savoir douter des retours d’information qu’elle nous donne.

Pierre (aidant et journaliste) : Pouvez-vous me donner un exemple de ce genre d’incertitudes ou de limites ?

Thomas (médecin radiothérapeute) : Oui, je me souviens d’un incident survenu pendant ma formation à l’Institut de cancérologie à Nantes. Alors que nous mettions en place le traitement d’un patient, une manipulatrice qui avait de nombreuses années d’expérience a commencé à dire : « Vous pouvez me raconter ce que vous voulez mais, là, on ne traite pas correctement si on continue comme ça. L’imagerie de contrôle est bonne, mais il y a quelque chose qui cloche dans le positionnement du patient. Tel qu’il est installé sur la table, on ne va pas pouvoir traiter correctement la cible décrite dans le compte rendu de son médecin référent. » Pour valider un traitement, on a besoin de s’assurer du positionnement exact du patient. En fait, la machine proposait une position aberrante. La manipulatrice qui a rattrapé le coup avait été formée avec la culture radiologique en 2D basée sur des repères cliniques et/ou osseux. Elle a dit « Stop ! On arrête là et vous simulez une projection du faisceau …. ». Là où la technique se fourvoyait, c’est le sens clinique qui a eu raison. Du coup, les physiciens sont intervenus, ils ont creusé et on a trouvé la faille. Le problème est que ce sens clinique a tendance à se perdre avec les jeunes générations de manipulateurs et de médecins, au fur et à mesure que se développent les systèmes d’assistance et d’aide à la décision. C’est là qu’on se rend compte qu’il est important de veiller à respecter une certaine pyramide des âges dans la constitution d’une équipe. En effet, une équipe trop âgée aura tendance à résister à une innovation qui bouscule trop ses repères et ses pratiques. Ce fameux sens critique des équipes, s’acquière avec l’expérience, avec les années de pratique du métier, et aussi s’appuie sur les échanges dans une équipe !». Ici, l’équipe marche bien. C’est une équipe qui évolue dans une ambiance familiale. Les compétences sont multiples et inter-agissantes. On défend l’idée de chaîne de décision et d’exécution pour que chacun, depuis la secrétaire jusqu’au soignant, s’autorise à prendre le temps qu’il faut pour bien faire un travail dont dépendra la qualité du travail des autres.

Pierre (aidant et journaliste) : Le docteur devient grave lorsqu’il explique qu’il n’a pas le droit à l’erreur. Et puis d’un coup il s’anime lorsqu’il raconte comment l’humain doit parfois pallier le fonctionnement irréfléchi de la machine. Parfois, il se fait humble lorsqu’il révèle que c’est la vigilance d’une manipulatrice qui a pu déjouer une défaillance de la technologie. Et je pense au jour où l’accélérateur de particules est tombé en panne en pleine séance. Le physicien médical est intervenu aussitôt, les manipulateurs ont été présents auprès de mon épouse et tout est rentré dans l’ordre. Mon épouse a été d’une résilience à toute épreuve ! Muni d’un café, j’ai réactivé mon dictaphone. Pourriez-vous me parler de la première consultation, de l’annonce des protocoles de soins ?

Thomas (médecin radiothérapeute) : La consultation initiale est un moment très particulier, qu’à titre personnel je sanctuarise. C’est là que tout commence, et notamment que se tisse un réel lien de confiance. Je commence par faire connaissance avec le patient car, pour lui faire une proposition adaptée dont il est censé tirer bénéfice, j’ai besoin de bien maitriser qui il est, où il vit, quel est son entourage et ses moyens d’aides et de recours. Je dois savoir quelles sont ses pathologies hors cancer. Enfin, il me faut, bien évidemment, connaître l’histoire de son cancer – ce qui a amené le diagnostic, les examens qui ont été réalisés, la teneur des discussions autour de son dossier lors de sa soumission en RCP… – ensuite je peux déterminer à la fois le pronostic et l’objectif des traitements à proposer (curatifs ou palliatifs). Une fois que j’ai fait la synthèse de toutes ces informations, vient pour moi le temps de ma proposition de traitement. Impliquer le patient dans son parcours de soin est très important. La proposition de traitement, elle, est de ma responsabilité en tant que médecin. C’est à moi de savoir ce qu’il convient de faire, et d’en assumer à la fois la mise en œuvre et la gestion des imprévus. En revanche, à ma charge évidemment d’expliquer au patient pourquoi je lui propose ce que je lui propose, et pourquoi c’est la meilleure option pour lui. Ma responsabilité est de prendre des décisions, mais à moi de faire adhérer le patient à mon projet de soins. Il reste décisionnaire et je ne peux le contraindre à subir un traitement contre sa volonté. Mon objectif est de l’amener à comprendre et à accepter le projet de soins que je lui propose, et qui correspond à ce que je juge comme étant le plus équilibré en termes de balance bénéfice/risque et le mieux adapté à sa situation médicale. « Docteur, je veux ce traitement, même s’il est lourd et plus ou moins pénible, parce que je comprends que c’est ça dont j’ai besoin. » Quand le patient prononce ces mots, ou manifeste cette volonté d’une façon ou d’une autre, j’estime qu’un pas décisif a été franchi et que le lien de confiance est établi. L’enjeu et la difficulté de cet entretien est la transmission d’informations parfois, et même souvent, difficiles à entendre et à recevoir. C’est un exercice de funambule qui doit en toute circonstance respecter les deux dogmes de la communication médicale : ne jamais mentir, ne jamais empêcher d’y croire, d’espérer. Dans la pratique, évidemment, j’essaie avec empathie et bienveillance de faire au mieux, en cherchant à ne jamais tomber dans le faussement rassurant ni dans l’excessivement inquiétant. J’essaie d’être le plus juste possible avec la réalité qui va suivre. Ce qui est important au final, c’est l’adhésion au traitement par le patient, en toute transparence, et toute confiance. Avec en revanche un fractionnement de l’information pour qu’elle soit écoutée, entendue, comprise et acceptée. Cette première consultation est donc fondatrice, il s’y construit une relation médecin-patient qui conditionnera la manière dont nous poursuivrons ensemble l’objectif thérapeutique spécifique que j’aurai déterminé.

Pierre (aidant et journaliste) : Avec la main de ma femme dans la mienne, j’étais présent le jour de cette première consultation. Ce n’était pas le Docteur Forestier mais le Docteur Sorel, une autre radiothérapeute, qui avait pris le temps de tout nous expliquer, le regard droit, la voix posée. Mon épouse avait écouté sans rien dire. « C’est une maladie grave » avait dit la radiothérapeute. Mon épouse le savait déjà, mais l’entendre en cet instant, dans ce bureau, sonnait comme un verdict. Les larmes ont coulé en silence. Puis nous nous sommes penchés sur le planning. « C’est un traitement curatif. Voilà comment vont se dérouler les séances ». Nous nous sommes projetés vers les semaines et les mois à venir, résolus à combattre ensemble la maladie. Ma main serrait plus fort la sienne, j’étais prêt à jouer mon plus beau rôle, celui d’un mari aimant tout simplement. Après ce premier rendez-vous, cette première consultation d’annonce, que se passe-t-il ?

Thomas (médecin radiothérapeute) : Une fois cette étape franchie, débute la partie technique de la prise en charge du patient. Tout commence par la réalisation d’un scanner « de repérage » ou « de centrage », qui permet d’obtenir des images du corps du patient dans une position figée et déterminée que nous serons ensuite capables de reproduire fidèlement tous les jours, au millimètre près, à chaque séance de traitement. Grâce aux images acquises dans ces conditions, ainsi qu’à des marqueurs positionnés autour et sur le patient, nos calculateurs pourront ensuite modéliser son corps dans l’espace. Le but est d’établir la balistique précise des faisceaux de traitements en fonction des volumes cibles à traiter et des organes à risque à protéger qui auront été, en parallèle, définis par l’oncologue radiothérapeute. L’étape de l’étude dosimétrique, c'est-à-dire la manière dont les radiations se distribuent à l’intérieur du corps du patient, est capitale puisque c’est là que des arbitrages s’opèrent pour fixer la balance efficacité/toxicité du traitement selon les antécédents propres à chaque patient et selon sa tumeur. L’objectif est de délivrer le maximum de doses dans la tumeur pour obtenir la meilleure efficacité, et le minimum dans les tissus sains environnants pour essayer de générer le moins possible d’effets secondaires. Après avoir testé toutes sortes de combinaisons de faisceaux (différentes balistiques, différents types de particules, différentes énergies de particules, différents filtrages ou modulations des faisceaux…etc), les dosimétristes proposent différentes versions optimisées, et le médecin radiothérapeute arbitre en choisissant celle qui lui paraît la plus en cohérence avec la situation médicale du patient. Pour certains, il faudra parfois accepter une part de risque d’effets secondaires. Pour soigner au mieux les patients, de nombreux aspects sont pris en compte, comme l’âge, le niveau d’agressivité de la tumeur, les projets de vie, ce qui est supportable ou non pour la personne malade. Il s’agira donc de veiller tout particulièrement à la tolérance du traitement pour qu’au final, le patient en tire bénéfice. Une fois le plan de traitement validé médicalement, le dossier technique du patient est soumis à l’expertise des physiciens médicaux qui, eux, ont pour responsabilité de certifier que la machine de traitement est bien capable mécaniquement de produire l’irradiation qui a été simulée par nos ordinateurs. Avant tout traitement, le dossier technique de chaque patient doit donc être co-validé par un médecin radiothérapeute et un physicien médical, avec une double signature, le médecin s’engageant sur les données médicales, le physicien sur les données techniques.

Pierre (aidant et journaliste) : Je l’ai interrompu pour lui raconter que mon épouse était revenue de sa séance de repérage avec l’impression d’avoir endossé le costume d’un personnage de la guerre des Etoiles. Son masque de contention, placé sur son visage, était fait d’une sorte de grillage en plastique. Elle préférait en rire. Se moquer d’elle-même, pratiquer l’autodérision était une façon de ne pas subir la maladie.

Thomas (médecin radiothérapeute) : Après quoi, le plan de traitement est implémenté dans la machine de traitement. Les manipulateurs ont alors un rôle crucial. Lors de ce qu’on appelle les « Sorties de dossiers » ou « Entrée de MEP » (MEP pour Mise En Place), ils vérifient la conformité et la cohérence des éléments qui leur sont transmis. Une fois que les manipulateurs ont étudié le dossier du traitement qu’ils auront à mettre en œuvre, le patient est convoqué pour sa « MEP ». Il s’agit d’une séance à blanc qui correspond à l’ultime vérification du dossier et du plan de traitement, en présence du patient lui-même, essentiellement pour vérifier les données de repositionnement sur la table de traitement, et de la bonne adéquation d’éventuel(s) système(s) de contention. Le patient est donc installé sur la table de traitement, tel que cela a été prévu et programmé à partir des données du scanner de centrage, en s’aidant des lasers en salle et des points de tatouages. Des images de contrôle de positionnement sont réalisées (2D, 3D voir 4D). En fin de MEP, le positionnement du patient doit être validé médicalement par un médecin radiothérapeute pour qu’ensuite les séances d’irradiation puissent commencer. Ce qui compte ici c’est la bonne reproductibilité du traitement : le patient doit, tous les jours, être placé strictement dans la même position. Il s’agit de faire en sorte que la bonne dose soit délivrée au bon endroit, et qu’au final, le traitement soit à la fois le plus efficace et le mieux toléré possible. De leur côté, les manipulateurs doivent garantir la bonne exécution des traitements, en sachant que chaque patient est un cas particulier parmi les nombreux patients traités tous les jours.

Pierre (aidant et journaliste) : Ah les manipulateurs et les manipulatrices, j’en ai entendu parler, il y avait celui qui chantonnait, il y avait Lara et Marie, ses préférées, qui lui mettaient la musique fort, une playlist spéciale pour ma femme. Ils avaient toujours le mot bienveillant, le mot rassurant, le sourire au bon moment. Le jour de sa dernière séance, ma femme les a gâtés, et leur a offert des boîtes de chocolats ! D’ailleurs le Docteur Forestier alerté par des bruits de couloir, est venu piquer quelques bouchées fourrées Les manipulateurs jouent un rôle essentiel, celui proche de l’humain, le rôle de celui qui tient la main.

Thomas (médecin radiothérapeute) : Dans la plupart des cas, la dose totale est fractionnée pour que le traitement se passe bien. Le traitement consiste alors en une succession de séances, réparties classiquement selon un rythme d’une séance par jour et de cinq séances par semaine, sur plusieurs semaines. Le critère essentiel de l’efficacité de la radiothérapie, c’est la capacité du patient à aller au bout de son traitement sans interruption. Nous devons avoir une gestion proactive pour éviter l’apparition d’effets secondaires qui feraient interrompre le traitement. C’est pour cette raison que les consultations en cours de traitement (per-traitement) par l’oncologue radiothérapeute référent sont si importantes puisque c’est lui qui a validé les dosimétries et les plans de traitement. C’est lui qui, est le plus à même d’anticiper et de gérer les effets secondaires radio-induits. Enfin, elles permettent, en veillant à ce que les réactions radio-induites restent mesurées ou minimes, de renforcer le pacte de confiance qui me relie au patient. En cours de séquence de traitement, une question revient régulièrement : « Alors, Docteur, on en est où ? ». Malheureusement je suis obligé de dire que je ne peux pas encore répondre à cette question, c’est trop tôt car l’action des radiations est cumulative et retardée. Le point culminant de l’efficacité de la radiothérapie ne se fait pas pendant la séquence de traitement mais au décours, sur les semaines et mois qui suivent. Ce qui explique que, généralement, le premier bilan d’évaluation post-traitement n’a lieu que deux à trois mois après la dernière séance d’irradiation délivrée. Cela frustre les patients qui aimeraient avoir des réponses sur l’efficacité du traitement qu’ils sont en train de recevoir. En revanche, de séance en séance, je surveille, on discute, je rassure : « On y est. L’action est en cours ». Il faut maintenir le moral…

Pierre (aidant et journaliste) : Le moral…., oui, ma femme était épuisée par les allers-retours quotidiens. Sa peau rougissait à vue d’œil, et elle devait s’appliquer des cataplasmes pour ne pas souffrir. Nous avons même essayé un magnétiseur ! On se raccroche à tout pour soulager la douleur. Même si on ne peut mesurer des effets notables, ça l’a aidée à tenir.

Thomas (médecin radiothérapeute) : Une fois la séquence de traitement terminée et la dernière dose délivrée, il y a le suivi en plusieurs étapes. D’abord accompagner le patient dans la cicatrisation de ses réactions radio-induites. Ensuite, une fois la cicatrisation acquise, évaluer la réponse de la tumeur au traitement délivré et donc l’efficacité de ce dernier. Enfin, traquer et parfois gérer les éventuelles toxicités tardives de la radiothérapie. Cela peut s’être très bien passé pendant et, si on n’y prend pas garde, générer des complications parfois sévères par la suite. Le suivi prolongé des patients après leur traitement me donne une autre forme de retour d’expériences, tout aussi précieux que celui du suivi per-traitement. Il me permet en effet de réajuster la balance bénéfice / risque de mes propositions thérapeutiques, et d’en apercevoir le retentissement éventuel sur leur qualité de vie à distance de leur traitement. De plus en plus souvent, heureusement, le projet de traitement est un projet de guérison. À moi de faire ce qu’il faut alors pour atteindre l’objectif, sans jamais avoir la certitude d’y arriver. Et puis, il existe des patients pour qui je sais d’emblée que je ne pourrai pas – ou plus – les guérir. Mais ce n’est pas pour autant que je ne peux les aider. Toute la beauté du métier est là. Il n’est pas simple de l’évoquer dès la première consultation quand la perspective n’est pas la guérison. Pas plus que de l’annoncer après des traitements qui n’ont pas donné les résultats escomptés.

Avec le temps et l’expérience, et ce qu’il faut d’empathie, on finit par apprendre à obtenir la confiance qui permet d’y parvenir. Alors, j’entends parfois : « Je voudrais pouvoir baptiser mon petit-fils, je voudrais pouvoir marier ma fille. Faites ce qu’il faut pour qu’à ce moment-là, je sois à peu près en forme. Après, il se passera ce qu’il doit se passer ». Dans ce cas, ma mission est de remplir le contrat que j’ai passé avec le patient. J’ai de belles victoires, mais aussi des échecs, et si je souhaite continuer à bien faire mon métier, je dois savoir apprécier cela, pour mes proches, mon entourage, mes collègues et mes patients. À l’inverse de beaucoup de disciplines médicales, toutes nos décisions de cancérologues sont basées sur des données de survie : survie sans maladie, survie sans rechute, survie globale, … Survie. La cancérologie est une spécialité à part, il faut s’accrocher en tant que soignant ! Le cancer fait peur. Mais on a tort de ne retenir que ses images funestes. Il y a eu beaucoup de progrès depuis 10-15 ans qui font qu’aujourd’hui, on peut afficher des statistiques de plus en plus optimistes : pour de plus en plus de patients, l’objectif est bien de vaincre le cancer. Les cancérologues peuvent affirmer : « On ne peut pas guérir tous les patients, mais on peut en guérir de plus en plus ! ».

Pierre (aidant et journaliste) : Merci docteur pour votre témoignage. À l’issue de la série de radiothérapie doublée d’une sévère cure de chimiothérapie, on est allé consulter notre médecin réfèrent. Le rapport de scanner en mains, le spécialiste n’en est pas revenu. Il n’y avait plus aucune trace de tumeur. C’est tout juste si on pouvait discerner les marques de l’exposition aux rayons ! Le traitement avait fonctionné. C’était donc une rémission. Ce mot sonnait comme une victoire. Je désactivais mon dictaphone